Pourquoi j'aime Paris...
Je n'écrirai jamais sur les nénuphars. Ni sur les pissenlits ou les oreilles de souris. Pas plus que sur les paquerettes ou autres fleurettes.
Les clochettes, les collerettes, les calices défilent devant moi comme dans un film muet : j'ai besoin de sous-titres. Devant une pervenche, je suis perplexe : de quel côté la tête ? Face à un coquelicot je cherche mes mots, moi qui, d'habitude, les suce comme des pastilles de menthe, les enfile sur des colliers de fil sucré, les dispose en ronde sur mon oreiller pour m'endormir...
Le végétal me rend muette. Et bête. Je n'ai rien à lui dire et il ne me dit rien. Je le contemple, je le trouve beau, très beau, mais ne peux ajouter mot à cette constatation simplette. Je n'ai pas grandi avec. Je l'ai connu sur des photos, sur grand écran, en croquis détaillé dans mes livres d'école. Jamais mis le nez dedans, coupé une tige, bouturé un bourgeon, caressé le velours d'une feuille.
Quand je m'approche d'une fleur, c'est chez un fleuriste. Sur mes gardes. Avec de la Cellophane partout autour, au cas où...
Dans un roman d'André Maurois, un personnage mourait d'une piqûre de rose. Il l'avait cueillie à la va-vite pour l'offrir à sa belle. La fleur se vengea, il trépassa. Ca ne m'étonne pas.
Je me sens en sécurité dans les couleurs de la ville, sur les quais de la Seine. Ah! les gaz charbonneux des pots d'échappement, le crachin gras mouillé sur les pavés, la sirène de police énervée, le chewing-gum qui colle à la semelle, l'arôme de la baguette chaude, le fumet rissolé du menu au bristrot du coin, le parfum capiteux de la dame que l'on croise dans la rue, le goût âcre du petit noir sur le zinc, le moelleux pâteux du croissant, le Skaï de la banquette de bistrot qui colle au paletot...
Ce sont mes fleurs à moi, mes arbres, ma jungle citadine, les lianes qui me servent de passerelles pour m'envoler très haut dans le ciel de mes émotions, de mes souvenirs. On n'écrit bien que ce qu'on a connu dans les premières années de sa vie, disait Virginia Woolf.
Elle avait bien raison. Car dans ces année-là je n'ai jamais croisé de nénuphars...